Pascal Mainsant, « Doit-on renoncer à notre entrecôte pour sauver l’homme et la planète ? »

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Interview de Pascal Mainsant

Depuis au moins une décennie, en France comme dans la plupart des pays développés, la consommation de viande est souvent critiquée, quand ce n’est pas haro sur la vache ou sur l’élevage. Divers mouvements d’opinion, indépendants les uns des autres, en sont la cause et il s’en dégage 4 thèmes récurrents : l’élevage réchauffe la planète, la viande ruine la santé, la viande affame l’humanité et pour finir l’élevage fait souffrir les animaux. Pascal Mainsant et René Laporte ont voulu répondre aux caricatures véhiculées sur ces différents thèmes avec la publication de « La viande voit rouge » aux éditions Fayard, un réquisitoire argumenté en faveur de la viande et les éleveurs. Pascal Mainsant, fils d’un agriculteur-éleveur champenois a fait toute sa carrière comme ingénieur de recherches à l’INRA. Il partage avec nous ses convictions et ses positions dans ce débat souvent passionné.

Que pensez-vous du lien établi entre élevage et le réchauffement climatique de la planète?

PM  : Si désormais il est admis que l’élevage mondial produit des gaz à effet de serre, la majorité de l’opinion traduit qu’ils réchauffent la planète. La FAO a révélé en 2006 que 18% des gaz à effet de serre anthropiques viendraient de l’élevage au sens large, soit plus que les transports mondiaux. Mais elle avait englobé dans sa définition toutes les activités, par exemple les déforestations, les cultures dédiées à l’élevage et toutes les industries qui travaillent et distribuent les produits alimentaires d’origine animale (la viande le lait et les œufs). En réalité l’élevage proprement dit ne contribue qu’à 10 %. Personne ne nie l’utilité de réduire ces émanations, mais si on examine les possibilités concrètes de réduire ces 10%, on découvre que c’est très difficile et très limité. 

N’y-a-t-il pas eu des excès commis, dans le monde de l’élevage, au nom de la modernité capitaliste ?

PM : Pour frapper les esprits, on nous montre des feedlots américains (parcs d’engraissement) ou des hangars immenses remplis de milliers de poulets  comme symbole de ces excès. Mais il faut savoir que ce type d’élevage intensif est celui qui dégage le moins de gaz à effet de serre. Selon les données scientifiques, 80 % des gaz à effet de serre de l’élevage mondial sont le fait des ruminants qui broutent de l’herbe. Autrement dit les systèmes intensifs sont beaucoup moins dangereux pour le réchauffement de la planète que les systèmes extensifs. Si je vous dis qu’un litre de lait produit en Bretagne dégage dix fois moins de gaz à effet de serre qu’un litre de lait produit en Inde, vous aurez du mal à le croire, mais c’est la vérité scientifique. C’est toute l’ambiguïté, les médias diabolisent la modernité des élevages alors qu’il s’agit du  modèle le plus économe en gaz à effet de serre.

Quels sont les pays qui dégagent le plus de gaz à effet de serre d’élevage ?

PM : Selon les données scientifiques de la FAO, ce sont les pays émergents qui dégagent l’essentiel soit 70 % des gaz à effet de serre de l’élevage mondial. C’est un autre paradoxe, qui rend très difficile la réduction des gaz à effet de serre de l’élevage mondial. Ne serait-il pas abusif de demander aux pays émergents d’investir dans la réduction de leurs élevages extensifs au profit des élevages intensifs?

Est-il urgent de réduire les gaz à effet de serre induits par l’élevage ?

Pascal Mainsant : Actuellement la totalité des gaz à effet de serre anthropiques augmentent de 2 à 3 % chaque année à cause du développement économique des pays émergents. Imaginons qu’on veuille réduire ceux de l’élevage par une action mondiale concertée, étalée sur une vingtaine d’années : l’impact de cet effort volontariste ne ferait que neutraliser une seule année de cette croissance actuelle des gaz à effet de serre totaux. Bref, c’est insignifiant. Et si l’on ajoute que les risques du réchauffement sont encore mal renseignés, on est en droit d’hésiter en ce qui concerne  l’élevage mondial. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

La viande peut-elle vraiment ruiner la santé ?

PM  : Depuis plus d’une dizaine d’années, les études épidémiologiques réalisées dans les pays développés suspectent la consommation de viande et de charcuterie au sujet de 4 maladies : le cancer colorectal, les maladies cardiovasculaires, le diabète et l’obésité. Le courant de pensée végétarien s’est logiquement appuyé sur ces informations scientifiques. Les autres courants d’opinion hostiles à la viande s’en sont emparés aussi. Un bon sentiment s’est répandu largement dans l’opinion des pays riches, avec une expression atténuée, « on mange trop de viande ! ».

Qu’en est-il des résultats scientifiques et de leurs conclusions ?

PM : Prenons l’exemple de l’influence de la consommation de viande et charcuterie sur le cancer colorectal : de nombreuses études au niveau mondial n’ont montré aucune influence. Et dans les études qui soulignaient un lien, celui-ci était limité aux gros consommateurs. Or, les influences des autres comportements excessifs (alcool, tabac, énergie) n’ont pas été isolées dans ces études. Il n’est donc pas impossible que le cancer colorectal soit influencé aussi par ces autres excès et que la viande ou la charcuterie n’y ait joué qu’un rôle marginal. La science épidémiologique ne traite pas encore suffisamment ces « facteurs de confusions ». On a même trouvé des études qui montrent que les végétariens ont un risque de cancer colorectal identique à celui des carnivores, d’où un sérieux doute sur toutes ces conclusions.

Le consommateur raisonnable de viande serait-il à l’abri ?

PM : Non seulement il n’est pas menacé par ces maladies, mais au contraire sa santé profite sans aucun doute d’une consommation de viande raisonnable. Les nutritionnistes nous révèlent que la viande est bonne pour la santé, grâce aux excellents nutriments qu’elle apporte, dont certains sont quasiment absents de la nourriture végétale. Faut-il rappeler que la médecine nous renseigne depuis longtemps sur les carences provoquées par l’alimentation végétalienne, tels que l’anémie ou les troubles du développement squelettique et neuronal, entre autres. Certes le végétarisme ou le végétalisme sont des choix philosophiques accessibles, et les carences peuvent être combattues par des choix de rations adaptées. Mais il est utile de préciser que ces choix sont accessibles seulement à des personnes averties et exigent un niveau de discipline de vie très élevé.

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LA VIANDE VOIT ROUGE Pascal Mainsant, René LaporteLA VIANDE VOIT ROUGE
Pascal Mainsant, René Laporte
Ed. Fayard 

Date de Parution : mai 2012

Format : 135 x 215 mm
224 pages