Interview de Catherine Véglio

Texte

« Le roman est un hymne à l’omnivorie de l’Homme »

Roman d’anticipation ou conte philosophique ? « La fête carnivore » est avant tout pour le lecteur une fête pour l’esprit car le livre est à la fois très bien écrit et très bien documenté. Normal quand on connaît le parcours de l’auteur et son attirance pour le sujet. Journaliste dans la presse agricole, elle a co-écrit un essai sur le GATT (OMC aujourd’hui), rédigé un guide sur les associations Nord-Sud puis s’est essayé au théâtre avec succès avant ce premier roman. Rencontre avec Catherine Véglio qui a bien voulu répondre à nos questions pour mieux nous éclairer sur son expérience et ses différentes sources d’inspiration.

  • Aviez-vous en tête depuis longtemps un tel sujet ?Interview de Catherine Véglio

Catherine Véglio : Oui car j’ai commencé à travailler en presse régionale, au Courrier Picard, puis en presse agricole, au quotidien Les Marchés puis à Agriculture Magazine. J’ai eu alors l’occasion de rencontrer des éleveurs de bovins et même de m’installer chez l’un d’entre eux pour vivre son quotidien. Ces rencontres m’ont profondément marquée : j’ai compris que ces hommes et ces femmes, s’ils vivent et travaillent avec les animaux, c’est d’abord parce qu’ils les aiment. J’ai eu envie de témoigner de cette communauté de vie homme-animal.

  • Quel a été le déclic ?

CV : Le sujet de mon roman s’est imposé un jour de l’été 2014, au bord du Lac Balaton en Hongrie, où je séjournais chez une amie. J’ai vu un grand panneau peint qui représentait la tête d’une vache avec de très belles cornes en forme de lyre. Mon amie m’a expliqué qu’il s’agissait de la race grise de Hongrie, qui avait failli disparaître. Le lendemain, un questionnement plus général a fait son chemin : se pourrait-il que l’élevage, une histoire vieille de 10 000 ans, disparaisse un jour ?

  • Futur hypothétique ou déjà proche ?

CV : C’est un récit d’anticipation dont l’histoire pourrait se situer dans quatre ou cinq décennies environ. Cette projection dans le futur me donne une grande liberté de ton et me permet de mettre l’accent sur des questions qui traversent les sociétés : que mangerons-nous demain ? Qui prendra le contrôle de notre alimentation ? Les territoires urbains et ruraux seront-ils séparés tout comme les hommes des animaux ? Mangera-t-on encore de la viande ?

  • Vos personnages semblent très ancrés dans la réalité, est-ce le cas ?

CV : Frédéric et Darius symbolisent des éleveurs et des animaux que j’ai rencontrés par le passé. Ceux-ci entretiennent des relations faites de communication, d’empathie et bien sûr de travail. Le langage non verbal des animaux qui écoutent, regardent ceux qui les entourent, est très important. Tous les éleveurs du monde sont convaincus que leurs bêtes les comprennent et  qu’ils partagent un même destin, comme Frédéric et son champion de taureau !

  • Comment voyez-vous l’évolution de la consommation de viande ?

CV : La réalité montre que la qualité ne rime pas avec une rareté que je pousse à l’extrême pour amener le lecteur à s’interroger sur notre alimentation future. Aujourd’hui, de nombreux éleveurs français de races à viande font le choix de nourrir leurs bêtes à l’herbe, en respectant leurs besoins et le rythme de la nature, c’est-à-dire en ne vendant pas leurs animaux trop jeunes. Cette production de qualité correspond à une évolution souhaitable dans nos sociétés occidentales : manger moins de viande, certes un peu plus chère mais de meilleure qualité, en développant une agriculture soutenable.

  • Pensez-vous plausible le monde que vous imaginez ?

CV : J’espère que non ! Dans cet univers imaginaire, de grandes firmes agro-industrielles, notamment asiatiques,  développent des filières industrielles de produits à base d’insectes pour nourrir le monde. Une nature high-tech disciplinée a envahi les métropoles et des « zones dédiées à l’élevage bovin » placées sous surveillance subsistent au milieu de grands espaces vides. C’est une société de contrôle, fort peu démocratique !

  • Votre roman n’est-il pas plutôt une parabole ?

CV : Certainement, dans la mesure où je suis troublée par la radicalité et l’intolérance qui traversent nos sociétés.  Une agriculture sans élevage ne serait pas le gage d’une humanité meilleure, au contraire. Comme le montre admirablement la sociologue Jocelyne Porcher dans ses travaux, la rupture de nos liens avec les animaux d’élevage menacerait ce qui définit notre civilisation depuis le néolithique : la coopération de travail homme-animal.

  • Le titre de votre roman ne renvoie-il pas à un festin plus ou moins païen ?

CV : Ce festin renvoie à l’esprit de transgression contre l’ordre établi que l’on retrouve aux origines des carnavals. Faisons fi de la morale dominante et liberticide à travers un événement plein de fantaisie ! C’est une façon de parler de la recherche du plaisir, au fondement des pratiques alimentaires humaines. La commensalité nous vient du fond des âges, de ce foyer initial où cuit la viande que l’on partage. Le roman est un hymne à l’omnivorie de l’Homme.

  • Le style de votre récit est très incarné, est-ce dû au sujet qui vous a porté ?

CV : Ce style charnel s’est imposé naturellement. Dans nos rapports à la nourriture, le corps et l’esprit sont inséparables. L’expérience alimentaire est un processus multisensoriel, qui fait appel à nos émotions, à nos souvenirs. Cet hédonisme est fondamental à mes yeux. Réduire un aliment à sa dimension fonctionnelle et manger des vitamines, des oméga 3, des fibres et que sais-je encore, est très réducteur. Se nourrir de plaisir, c’est la vie !