Taureaux sacrés et amours vaches

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Dans la scène de la Nativité, le Christ est entouré de quelques animaux, dont le bœuf, symbole de force, de chaleur et de sagesse. Pour autant, avec la naissance du christianisme le bœuf reprend sa place parmi les animaux. Les affaires entre Dieu et les hommes ne le concernent plus, même si en ces temps du début du christianisme, le culte Mithra, qui par le sacrifice du taureau régénère le monde, s'installe dans tout le monde romain. Cela fait des millénaires que le taureau est la figure dominante des religions du bassin méditerranéen. Mais c'est un autre sacrifice, celui du fils de Dieu, qui écarte le taureau de la religion.

Les religions de la préhistoire

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Partout dans l'Ancien Monde, la vache, le bœuf ou le taureau interviennent dans les constructions rationnelles du monde (cosmogonies). A Lascaux, la magnifique salle des taureaux et la superbe vache à la collerette comptent parmi les plus belles peintures de la fin du Paléolithique.

Pourtant, c'est l'âge du renne, l'animal le plus chassé et mangé par les artistes de ce temps-là. Les taureaux et les vaches de Lascaux appartiennent aux figures symboliques d'un magnifique sanctuaire, sans que l'on sache si ils sont attachés à la féminité ou la masculinité. Mais ils font partie de la représentation du monde des religions de la préhistoire.

Les animaux-dieux égyptien

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Le temps des animaux-dieux arrive avec la civilisation égyptienne. Lors de la formation de l'empire de Pharaon, l'unification des cités du Nil rassemble leurs dieux protecteurs respectifs dans un immense panthéon. L'un d'entre eux est vénéré à Memphis où les prêtres soignent un taureau sacré.

Quand il meurt, il est embaumé et mis dans une sépulture alors qu'un autre le remplace. Le nom de ce dieu est Apis, identifié au dieu Ptah, l'âme vivante du monde, figuré par une vache blanche marquée de tâches noires. Quand elle porte le disque solaire entre ses cornes, elle s'identifie au dieu solaire Rê, car l'animal représente l'âme (ba) du dieu.
Le mythe d'Apis connaît bien des péripéties. Dans l'une d'elle, il apparaît comme la déesse Nout ou Hathor représentée par un corps de femme surmonté de cornes qui enserrent le disque solaire, l'œil de Rê. Mais Rê, déçu par les hommes, envoie Nout provoquer des ravages parmi eux. Puis les choses finissent par s'arranger.
Alors Nout s'élève dans les airs et devient le ciel et la constellation des étoiles. Elle est alors la source du renouveau de la vie. Les grecs et les latins ne manquent pas d'être étonnés par ces divinités à corps d'hommes et à têtes d'animaux.

Le taureau et la vache dans la mythologie grecque

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La mythologie grecque met en scène des dieux et des déesses qui se comportent comme des hommes et des femmes. Pour autant, le taureau et la vache occupent une place privilégiée dans les péripéties de l'Olympe. Tout commence par les amours de Zeus, le roi des dieux.
Il s'éprend de Io, une jolie prêtresse d'Héra, la propre femme de Zeus. Il séduit Io, ce qui irrite Héra. Pour éviter la colère de sa femme, Zeus transforme Io en une magnifique génisse blanche et déclare qu'il n'a pu aimer une vache. Héra n'est pas dupe et soumet Io à diverses épreuves. Io entame une course folle qui l'amène à faire le tour d'une mer qui devient "ionienne" et traverse le Bosphore, qui est "le passage de la vache".
Elle termine son périple en Egypte. Là, elle met au monde le fils de Zeus puis se transforme en constellation étoilée. Ce fils, Epaphos, s'unit plus tard avec la fille du dieu-Nil, qui s'appelle Memphis. Leur descendance est à l'origine des grandes lignées royales de Lybie et d'Egypte.
Les amours de Zeus avec la descendance de Io donnent naissance aux grandes dynasties royales et aux grandes cités, comme Thèbes. Séducteur éternel, Zeus s'éprend d'Europe, fille de Lybie. Il se transforme en magnifique taureau blanc pour la conquérir. Il l'emmène sur son dos et traverse la mer.
Ils rejoignent la Crète où ils s'unissent. Là, les platanes, témoins de leurs amours reçoivent le privilège de ne plus jamais perdre leurs feuilles. Plusieurs enfants naissent, puis Europe est transformée en constellation étoilée. La descendance de Zeus et d'Europe fonde la lignée des rois de Crète, dont Minos.
Mais la femme de ce dernier, Pasiphae, se livre à des actes d'amours avec un taureau. Il en naît un monstre, le terrible Minautore, que Minos enferme dans le célèbre Labyrinthe. Ainsi, les méandres de la mythologie grecque ne cessent d'unir les dieux et les vaches au commencement des affaires des hommes.

Les vaches, les constellations et l'univers

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L'affinité des vaches pour les constellations du ciel renvoie à l'astrologie et aux signes du zodiaque. Le zodiaque signifie justement "qui a à faire avec les animaux". Or, il y a 5.000 ans, au moment de l'équinoxe de printemps, le soleil se situe exactement dans la constellation du taureau.

Ce n'est plus le cas actuellement. A cause de la précession des équinoxes, le soleil, au moment de l'équinoxe de printemps, qui marque le renouveau de la nature, pointe dans la constellation du poisson, et ce depuis le début du christianisme.

Mais avant l'avènement de l'ère chrétienne, l'orientation de l'axe de la terre a fait du taureau l'animal sacré par excellence, dominant la terre des hommes depuis le ciel.

La vache ou le taureau, qui portent souvent les grands dieux fondateurs sur leur dos, représentent à la fois la structure de l'univers mais aussi son renouvellement. Ils occupent une place primordiale dans la mise en place du monde. Dans le bassin méditerranéen, mais aussi dans les mythes de la vache sacrée des Hindous et de bien d'autres religions de l'ancien monde, le lait, le sang ou le sperme doivent être versés pour régénérer la nature.

Ces mythes fécondateurs et fondateurs attachés à la vache et au taureau se retrouvent chez les premières civilisations d'agriculteurs de Chatal-Huïk en Anatolie, en Assyrie avec les taureaux ailés ou "chérubins" de Babylone et se perpétuent jusqu'au début de notre ère. Dans certaines religions, il arrive que des monstres, comme le Minautore, ou des dieux terribles, comme Moloch, empruntent la figure de taureau. C'est pour rappeler aux hommes qu'ils ont des devoirs envers leurs dieux.

Taureau, boeuf et sacrifices

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Les mythes du renouveau de la nature, si important dans les sociétés d'agriculteurs, requièrent le sacrifice. Le taureau ou le bœuf consacrent la valeur de l'acte sacrificiel. Tuer un bœuf, c'est prendre son âme - les grecs appellent les animaux domestiques "âmes".

Chez les grecs, le sacrifice du bœuf rentre dans des rituels, les bouphonies, où chacun des acteurs du sacrifice se renvoie la responsabilité d'un meurtre collectif pour, finalement, accuser le couteau. Le sacrifice s'inscrit dans la nécessité de tuer un animal qui représente autant de valeur pour assurer la commensalité entre les dieux et les hommes.

Le sacrifice du taureau - tauroctonie - remonte aux plus anciens rites du "croissant fertile", foyer des premiers agriculteurs au Moyen-Orient. Depuis les mythes iraniens jusqu'au culte de Mithra au début de notre ère, le sacrifice du taureau s'attache à tous les mythes de la fondation et du renouvellement du monde.
Il est probable que le culte de Mithra perd de sa vitalité car il dérive vers une pratique plus centrée sur la virilité, diffusée par les légions romaines. Mais c'est aussi au cours de ces millénaires que se construisent les religions du livre. On retrouve le taureau dans l'Ancien Testament. Dans l'histoire d'Abel et Caïn, Dieu s'offusque parce qu’Abel ne lui offre que des végétaux de sa récolte et du lait.

Seul le sacrifice d'un taureau honore Dieu. Dans certaines circonstances, le sacrifice de plusieurs taureaux s'appelle une hécatombe (littéralement "cent taureaux"). Dans le premier Temple de Jérusalem figurent quatre "chérubins" ou taureaux ailés qui porte l'image de Dieu. Mais le taureau est porteur de trop de symboles venant des autres religions. Le passage de l'adoration du "veau d'or" dans la Bible devrait s'appeler celui "des taureaux d'or".
Depuis, la prière remplace le sacrifice, même celui qu'Abraham est prêt à faire avec son fils. Avec le nouveau Testament et l'Eucharistie, tous les sacrifices sont assumés par celui du Christ et la communion remplace la consommation du corps sacrifié. La religion ne se soucie plus des bœufs.

Homme et vache : Les inséparables

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L'histoire de l'homme et de la vache remonte à la nuit des temps. Ils ne se sont jamais quittés depuis plus de 3 millions d'années, depuis qu'ils apparaissent en même temps sur la scène de l'évolution en Afrique de l'Est.
D'ailleurs, ce destin commun remonte encore bien plus loin, jusqu'à 40 millions d'années, en raison d'une erreur faite par le grand paléontologue Georges Cuvier. En ce début de XIXème siècle, à l'époque où on se fascine pour l'égyptologie naissante, Cuvier trouve un fossile qu'il nomme Adapis parisienensis, car il pense que c'est un lointain ancêtre des vaches. En fait, Adapis est un ancêtre des singes et des hommes, et on en trouve au Fayoum, au sud du Caire, là où les anciens égyptiens vénéraient aussi Apis.

On n'en sort pas. A croire que même en paléontologie, les mythes viennent nous visiter. Mais au-delà de tous les mythes, le bœuf reste le seul animal domestique porteur d'une symbolique forte de la nature. Le repas organisé autour d'une pièce de bœuf continue de signifier la commensalité autour d'un animal prisé. Avec l'homme, c'est l'amour vache où se mêlent le sacré et le mangé.

Auteur : Pascal PICQ